« Et qu’est-ce qui vous dit que ma fille, à ce moment-là, n’était pas victime de harcèlement sexuel de la part d’un prédateur machiste et précoce ? répondit Gilles en ricanant.
– Ce n’est pas le moment d’ironiser, Monsieur Duvignac. C’est grave ce qui s’est déroulé l’autre soir.
– Enfin, voyons ! Il ne s’agit que de propos de cours d’école entre deux enfants de cinq ans. Ça n’a rien de sérieux ou de grave. Vous savez, Madame, il y a encore une dizaine d’années, tout cela n’aurait eu aucune incidence. Ni vous ni moi ne l’aurions su et ces enfants ne s’en rappelleraient même plus aujourd’hui.
– Vous avez peut-être raison mais le monde a changé, Monsieur Duvignac. Le monde a changé…
– Dites-moi que vous ne le regrettez pas, grommela Gilles en scrutant les notes que prenaient la directrice, assise en face de lui, afin de tenter de les déchiffrer.
– Ce n’est pas la question, Monsieur. Nous ne sommes pas ici pour discuter de nos opinions respectives ou du temps qui passe. Je dois exercer mes responsabilités et prendre en considération le signalement de ma collègue.
– Eh bien, faites donc… »

Courbé en avant, les coudes sur les genoux et le visage entre les mains, Gilles regardait par la fenêtre en soupirant bruyamment. Il souhaitait s’extraire de ce bureau exigu, comme de cette situation, au plus vite. Marie-Pierre, de son côté, feignait de traiter cet entretien comme s’il s’agissait d’une simple formalité administrative, sans le moindre enjeu pour quiconque. De temps en temps, afin de se donner une contenance, elle se mettait à ranger des papiers dans des chemises cartonnées ou s’affairait sur son vieil ordinateur de bureau, de marque Toshiba, qui fonctionnait encore sous Windows XP. C’était pourtant tout sauf un entretien anodin. Pour preuve, elle avait longuement préparé son discours et portait sa fameuse robe en lin, celle qui lui faisait des hanches plus fines et lui donnait un air plus professionnel. Quant au courriel de convocation qu’elle avait envoyé aux parents de Chloé la veille, il lui avait fallu près de deux heures pour le rédiger d’une manière satisfaisante. Gilles, quant à lui, portait sa tête et sa chemise de tous les jours. Les jours sans sa fille, ceux qui ne comptaient pas et durant lesquels il ne faisait aucun effort afin de paraître à son avantage...